Victor Mishcon, alias Lord Mishcon (1915 – 2006) est le fils d’Arnold Mishcon, un rabbin qui a émigré de la Pologne russe. Il fait ses études à la City of London School. Il étudie le droit et devient un avocat britannique de premier plan et un politicien travailliste. Son cabinet a représenté Diana, princesse de Galles, lors de son divorce. Les conférences Mishcon ont été créées à l’University College de Londres en 1990 en l’honneur de Lord Mishcon pour marquer son 75e anniversaire. Il est le premier avocat en exercice à être nommé conseiller honoraire de la reine. Il est vice-président du Conseil des députés des Juifs britanniques de 1967 à 1973 et vice-président du Conseil des Chrétiens et des Juifs de 1976 à 1977. Il est président de l’Institute of Jewish Studies, University College de Londres, et président honoraire de la British Technion Society. Il reçoit l’Étoile d’Éthiopie en 1954 et l’Étoile de Jordanie en 1995 pour son travail dans le processus de paix au Moyen-Orient. Entre 1984 et 1990, il est il’ntermédiaire secret dans les négociations entre le roi Hussein de Jordanie et le ministre israélien des Affaires étrangères Shimon Peres, offrant l’utilisation de sa maison de campagne.
Transcription et traduction du discours prononcé le 25 février 1971 :
Monsieur le Président et chers collègues,
La commission sur le travail avec les médias s’est réunie sous la présidence de Monsieur Perry Meyer du Congrès juif canadien, le vice-président étant Monsieur Sergio Nudelsberg de la conférence latino-américaine pour les Juifs d’Union Soviétique. Le rabbin Grunwald de France a fait une présentation et nous avons bénéficié des conseils de monsieur William Fraenkel, le rédacteur en chef du célèbre Jewish Chronicle du Royaume-Uni.
Nous n’avons pas jugé bon de faire des recommandations spécifiques à cette Conférence, mais nous avons estimé qu’il était plus utile d’avoir une discussion approfondie à laquelle ont participé des représentants de tous les pays qui ont siégé avec nous. Nous avons constaté que parmi eux se trouvaient d’éminents journalistes et d’autres personnes engagées professionnellement dans le monde des médias, laissant au rapporteur la tâche de résumer les principales tendances d’opinion qui avaient été exprimées.
Il y avait unanimité quant à l’importance suprême de l’utilisation complète et productive des media de masse dans la bataille pour les droits de nos frères soviétiques. Et il n’y a aucun doute dans nos esprits quant à la sensibilité du gouvernement soviétique à l’opinion mondiale. Quels qu’aient pu être les autres facteurs politiques, l’opinion mondiale s’est abattu sur l’Union soviétique au moment des procès de Leningrad. Pour beaucoup, la mise en scène des condamnations à mort semblait coïncider intentionnellement avec la proximité des fêtes de Noël, lorsque les médias ne fonctionnaient pas et que l’occasion de protester publiquement et l’opportunité d’une protestation publique aurait normalement été minimale. Mais les Juifs du Monde ont veillé à ce que la conscience du monde soit éveillée et, bien que personne d’entre nous ne soit satisfait du sort des condamnés, au moins les condamnations à mort ont-elles été évitées. Peut-être qu’une lumière d’avertissement a percé au milieu du Kremlin. D’autres exemples montrant une certaine efficacité de l’opinion mondiale sur l’immigration et la déclaration de Kossyguine1.
Nous nous sommes rendu compte que les procès dramatiques et les condamnations à mort peuvent faire la une des journaux, alors que la répression systématique, l’antisémitisme rampant, la privation des droits des citoyens ordinaires ne sont pas d’un grand intérêt dans notre monde.
Comment alors procéder pour alimenter les médias ? Et quel devrait être le contenu de ces informations ? Nous étions tous convaincus que les manifestations devaient se poursuivre. Il ne fallait pas que l’on oublie ce qui arrivait aux Juifs d’URSS. Nous devons veiller à ce que les informations transmises aux médias soient exactes et qu’elles ne proviennent pas de sources si diverses que les canaux soient saturés et que rien ne sorte.
On a beaucoup parlé de la nécessité, pour cette raison, d’une coordination et d’une coopération appropriées dans chaque pays, de préférence sous l’égide d’un organisme national global s’occupant spécifiquement des Juifs d’URSS, mais sans ignorer l’importance d’une activité purement locale dans le pays même.
Conscients que chaque pays a ses propres problèmes et caractéristiques en matière de relations publiques, en particulier sur une question comme la nôtre, beaucoup d’entre nous ont cherché un organisme régional s’occupant de ces questions, sans parler d’une organisation mondiale.
Ce que beaucoup pensaient, cependant, c’est qu’il devrait y avoir un organisme central d’information qui rassemblerait et passerait en revue les faits et les preuves, qui pourraient être diffusés aux organismes nationaux et par lequel des suggestions pourraient être faites et des expériences communiquées pour être diffusées dans l’intérêt général. D’autres se sont demandés, et ces quelques personnes étaient des professionnels expérimentés, s’il était judicieux ou nécessaire de créer un tel organisme et si nous ne devrions pas continuer à fonctionner comme nous le faisons actuellement.
Nous nous efforçons toutefois de faire en sorte qu’il y ait, au niveau national, un seul organisme qui s’occupe des médias d’information au lieu de plusieurs et qu’il n’y ait aucun doute quant à l’authenticité de l’origine des faits qui sont communiqués. Les journalistes parmi nous ont souligné que les journaux étaient réfractaires à la propagande évidente et qu’ils voulaient des faits provenant d’une source fiable, et que l’avantage d’un organisme national comprendrait également l’attribut négatif d’arrêter les organisations et les personnes qui font des choses nuisibles à la cause.
Nous avons discuté de la contre-productivité de certaines informations qui pourraient être publiées dans la presse, entendues à la radio ou vues à la télévision. Et à cet égard, nous avons considéré les présentations de violence par rapport aux méthodes pacifiques et légales pour faire entendre notre cause.
Tous, à l’exception d’une voix discordante, étaient d’avis que toute manifestation de violence nuisait à notre cause. Selon les mots d’un ancien rabbin russe, maintenant en Israël, qui était assis avec nous et qui y avait beaucoup souffert y compris des séjours en Sibérie : « Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour la vérité, mais surtout ne pas agir par provocation. Nous devons garder un esprit froid et raisonné. Ce que veut le gouvernement soviétique, c’est un prétexte pour réagir à une provocation violente. » 2
Beaucoup d’entre nous pensaient qu’il était difficile d’intéresser continuellement les médias au sort des Juifs soviétiques si notre information reposait uniquement sur le fait que les Juifs n’étaient pas autorisés à pratiquer leur religion et souffraient de certaines privations et de certains préjugés.
On m’a permis d’exprimer l’opinion que le problème doit être revu à une toute autre échelle. Un pouvoir qui, par la force de la loi et par l’intimidation, cherche délibérément à étouffer l’âme d’un peuple, à le priver de ses traditions qui sont sa sauvegarde, ne se contente pas de commettre une violation des droits de l’homme. C’est se rendre coupable d’un génocide spirituel.
Notre plate-forme doit montrer que notre peuple est étranglé en tant que peuple et notre plate-forme doit montrer clairement que le glas ne sonne pas seulement pour les juifs soviétiques. Les droits de l’homme fondamentaux étaient en jeu et les répercussions sur ces droits étaient incalculables partout dans le monde si cette politique scandaleuse n’était pas attaquée et inversée.
Monsieur le président, nous avions beaucoup à dire sur l’amélioration du type de matériel publié. L’opinion a été exprimée que l’écrivain juif devrait être encouragé à écrire des livres, des articles, des essais et des poèmes traitant des Juifs soviétiques et qu’il devrait y avoir des films documentaires d’une réelle expertise pouvant être diffusés à la télévision à des heures précises, précédés ou suivis de discussions de haut niveau.
On s’est rendu compte que pour être efficaces, différents modes de communication devaient être mis en place, non seulement par pays mais aussi selon différentes catégories de personnes. Par exemple, les intellectuels et les jeunes. Beaucoup estimaient que, dans la diffusion d’une information utile, il ne fallait pas oublier les enseignants, les écoliers et le clergé de toute confession.
Les groupes, en particulier les groupes professionnels, tels que les avocats et les médecins, devraient être impliqués dans le monde entier. Les académiciens, au nombre desquels les Juifs eux-mêmes contribuent souvent dans une proportion très importante, devraient être mis à contribution plus qu’ils ne l’ont été. Nombreux sont ceux qui ont estimé qu’il fallait organiser davantage de réunions et de manifestations dans leur propre pays et que cette conférence pourrait faire l’objet d’une campagne d’information auprès des communautés juives, qui devaient elles-mêmes être tenues au courant. Je ne serais pas honnête si je laissais croire que, sur le plan des relations publiques, cette conférence a rencontré sans réserve tous les espoirs de notre commission. Nous, les Juifs, sommes très critiques envers nous-mêmes. Au moins, comme vous l’avez dit, Monsieur le Président, nous sommes redevables à l’Union soviétique de nous avoir aidé à cet égard.
Leur protestation contre la tenue de cette Conférence et leurs efforts pour la faire cesser nous ont valu une première couverture mondiale et démontrent que notre Conférence était bien conçue si ses délibérations étaient si redoutées. En effet, dans ce contexte, nous avons tous pensé que tant de choses pouvaient et devaient être faites pour utiliser les expériences des récents émigrés russes. Cela devrait être fait de manière beaucoup plus approfondie et avec une coordination beaucoup plus poussée des arrangements avec les communautés individuelles à travers le monde afin de rendre leurs histoires orales disponibles. Dans de nombreux pays, il faudrait faire davantage pour que des publications utiles soient disponibles dans les bibliothèques. Presque à la fin de nos délibérations, l’un de nos membres a suggéré que notre mouvement de défense des droits des Juifs soviétiques soit représenté par un symbole mondial, qui serait conçu par un expert.
Cette idée a été approuvée par tous et a permis de sceller nos délibérations, qui symbolisaient elles-mêmes notre intention mondiale de lutter en tant que peuple fier et uni. La bataille de la liberté contre ceux qui emprisonnent. La bataille pour maintenir une lumière, la torche de l’apprentissage, de la culture et de la tradition juives contre ceux qui veulent l’éteindre. La bataille de la fraternité de l’humanité contre les forces du préjugé. Les médias ne pourraient-ils jamais être utilisés pour une plus grande cause ?
1 Alexeï Nikolaïevitch Kossyguine 1904-1980. est un homme politique soviétique. Il exerça les fonctions de président du conseil des ministres de l’Union soviétique de 1964 à 1980.
2 Peut-être le Rabbin Poupko (NDT).