MENDEL GORDIN

Mendel Gordin, né à Riga en 1936, est biochimiste et cousin de Yosef Mendelevitch, un autre « refusenik ». Le Dr. Gordin fut le premier à rendre officiellement son passeport soviétique et, à part quelques tentatives d’intimidation, ne fut pas véritablement inquiété (cité par Roland S. Süssmann dans son article Lettonie dans le magazine Shalom en 2020).

Transcription et traduction du discours prononcé le 23 février 1971 :

Mes frères et sœurs,

Je suis Gordin Mendel, 34 ans, biochimiste.

En 1969, j’ai déposé une demande de sortie pour Israël, qui a été rejetée. J’ai renoncé par la suite à la citoyenneté soviétique et au grade d’officier de l’armée soviétique. En tant que croyant, je n’ai pas eu la possibilité de travailler en Union soviétique en raison des fêtes religieuses. J’ai été sans travail pendant une année. Après des menaces répétées de poursuites judiciaires, j’ai reçu en novembre 1970 l’autorisation de partir en Israël.

Permettez-moi, au nom de la communauté juive d’Union soviétique, de saluer les participants à la Conférence.

Je voudrais m’arrêter sur quelques questions relatives au mouvement juif en URSS et qui, jusqu’à présent, n’ont pas été couvertes par la presse occidentale.

Dès les premiers jours d’existence du pouvoir soviétique, la question juive commença à être résolue conformément au programme d’assimilation totale selon la fameuse formule modifiée de Pobiedonostsev1 en exterminer un tiers, en assimiler un tiers, en expulser un tiers. Pendant plus d’un demi-siècle, ce duel inégal entre David et Goliath, dont les péripéties étaient jusqu’à récemment peu connues du monde libre, s’est poursuivi.

Aujourd’hui, cette lutte s’approche de son point culminant. La Russie est si étrangère au Juif que toute personne qui pense nationalement n’a qu’un seul choix, celui du retour à tout prix dans sa patrie. La politique de dissolution complète, d’assimilation a échoué. Au stade actuel, la politique soviétique se caractérise par un antisémitisme habilement masqué et comportant une nuance de sadisme.

Certaines familles, comme les Rusinik, les Eleshevitsh, les Riga, se voient refuser leur visa de sortie pour Israël, mais dès que leurs enfants se marient, ils autorisent instantanément la femme à quitter l’URSS tout en persistant à refuser le visa à son mari. Ils refusent ouvertement l’accès aux universités aux enfants dont les parents demandent à partir.

Un certain nombre de Juifs soviétiques ont été licenciés de leur travail pour la seule raison qu’ils demandent l’attestation nécessaire au départ en Israël. Le peuple juif a connu dans son histoire séculaire des périodes plus difficiles mais un tel sadisme, raffiné et hypocrite n’a guère de similitude. En tentant d’intimider les Juifs, la Russie lance le mythe de l’antisoviétisme. La lutte des Juifs d’Union soviétique en vue du rapatriement dans leur patrie n’a aucun rapport avec la critique de la structure politique de la société soviétique. Et aucune astuce de propagande ne peut combler cet écart. Pourquoi, aux procès pour activités antisoviétiques qui vont bientôt avoir lieu à Riga, Leningrad, Chisinau, les accusés sont-ils uniquement juifs? La solution de la question juive n’est pas entre les mains des juges Kossyguine2 et Brejnev3. La clé du libre rapatriement des Juifs d’Union soviétique se trouve ici, parmi les participants à cette Conférence. Seule la solidarité active et ouverte, jour après jour, avec le mouvement national de Russie, seule cette voie est la voie de la victoire.

Je demande à la Conférence d’instituer le 15 juin, le jour de la première action soviétique, journée de solidarité internationale avec les Juifs soviétiques.

Il faut constater, avec un profond regret, que les Juifs de Russie ont été entourés, jusqu’à récemment, d’un cercle de silence sépulcral de la part de toute la communauté juive mondiale. Personne, nulle part, n’a élevé la voix en notre défense. En réponse à nos appels à l’aide, nous n’avons entendu que les lamentations de Nahum Goldmann : « Attendez que l’Union soviétique veuille – je souligne le mot veuille – résoudre cette question. » Nous ne pouvons attendre, car chaque heure, chaque jour, signifie un Juif de plus assimilé de force, une étoile à six branches de plus sur le corps du peuple juif.

Nous sommes une petite partie de rapatriés d’Union soviétique, aujourd’hui dans leur patrie. Nous sommes libres. Nous sommes liés par la même chaîne d’esclavage avec Kochubievski, Borisov, Shor et Mendelevitch. Et jusqu’à ce que le dernier Juif condamné ne foule la terre natale, nous en appellerons à une lutte acharnée et rude contre la tyrannie des ennemis et la trahison des amis.

La liberté, la liberté et seulement la liberté pour les Juifs de Russie ! Je vous remercie pour votre attention.

1 Constantin Pétrovitch Pobiedonostsev, né en 1827 (2 juin 1827 et mort en 1907 est un juriste, spécialiste du droit civil, homme d’État et penseur russe. Pobiedonostsev devient, avec l’avènement d’Alexandre III, un personnage tout puissant. Sa politique ouvre la voie à une russification brutale des provinces aux limites de l’Empire. La Finlande et la Pologne subissent une oppression grandissante. Antisémite, il est défenseur d’une politique systématique de discrimination envers les Juifs. On le crédite ainsi de cette phrase concernant son opinion sur les Juifs : « qu’un tiers des Juifs russes émigrent, qu’un tiers acceptent de se convertir et que l’autre tiers périssent.

2 Alexis Nikolaïevitch Kossyguine 1904 – 1980, est un homme politique soviétique. Il exerça les fonctions de président du conseil des ministres de l’Union soviétique de 1964 à 1980.

3 Léonid Ilitch Brejnev né en 1906 et mort en 1982, est un homme politique soviétique d’origine ukrainienne3, secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique, et donc principal dirigeant de l’URSS de 1964 à 1982. Il fut en outre président du Præsidium du Soviet suprême (fonction honorifique de chef de l’État) à deux reprises, de 1960 à 1964 et de 1977 à 1982.