HENRI SIMONET

Henri François Simonet (1931-1996) fut Ministre d’État et bourgmestre PS d’Anderlecht entre 1966 et 1984. Né à Bruxelles, dans une famille modeste patoisante et peu politisée, il se révèle très tôt un élève surdoué. Et c’est à l’Université libre de Bruxelles qu’il décroche ses doctorats en droit et en sciences économiques et financières avant de partir pour un an à l’Université américaine de Columbia. En 1959, il devient membre du Parti socialiste. Faisant déjà partie de l’aile droite et atlantiste du PS, il est aussi membre d’honneur du Cercle des Nations, il quitte celui-ci en 1985 pour rejoindre le Parti réformateur libéral. Sous l’administration d’Henri Simonet, le visage d’Anderlecht se modifie. L’implantation de l’hôpital Erasme sur le territoire d’Anderlecht, pour laquelle il a particulièrement œuvré en tant que président du Conseil d’administration de l’ULB permet du même coup le développement économique de toute cette partie de la commune. Il fut également vice-président de la Commission européenne et ministre des Affaires étrangères et économiques. Il fut administrateur de sociétés et professeur d’université, étant docteur en droit et en sciences économiques et financières et CRB Graduate Fellow (Colombia University, États-Unis).
Simonet fut ministre des Affaires étrangères, secrétaire d’État à l’Économie régionale, adjoint au Ministre des Affaires bruxelloises, ministre des Affaires économiques, membre et Vice-Président de la Commission des Communautés européennes.

Transcription du discours prononcé le 23 février 1971 :

Monsieur l’Ambassadeur, Monsieur le Président, mes chers collègues, mesdames et messieurs, d’abord une petite précision puisqu’une mise au point en appelle une autre, je ne suis pas Mr. Sabin1. Je suis tout simplement un député, membre du parlement belge, à qui l’honneur incombe de vous adresser, et en particulier d’adresser à tous ceux qui ne sont pas belges dans cette assemblée, quelques paroles de bienvenue au nom, je crois pouvoir l’affirmer, de tous les démocrates de ce pays.

Lorsqu’il y a quelques heures, la proposition m’a été faite de m’adresser à vous ce soir, j’ai aussitôt accepté avec joie mais aussi avec une certaine humilité. Avec joie parce que je suis conscient de l’honneur que vous me faites en m’invitant à prendre brièvement la parole devant cette assemblée mais devant une assemblée qui n’est pas simplement une réunion de personnes venues des quatre coins du monde, mais qui est surtout une des premières manifestations tangible de ce phénomène nouveau et qu’ont si longtemps espéré les juifs en particulier : savoir l’opinion publique internationale. Parce qu’en effet, si vous êtes ici, ce n’est pas tellement pour vous livrer à des études d’ordre scientifique sur les conditions de fait de certaines communautés juives dans le monde et plus particulièrement de celle qui vous intéresse au cours de votre réunion, mais c’est bien, du moins l’ai-je ainsi compris, pour tenter de sensibiliser une nouvelle fois une opinion publique internationale qui l’a déjà été, dans un cas précis et ô combien dramatique, afin d’obtenir non seulement que soit résolu le problème des membres de la communauté juive pour lesquels aujourd’hui vous êtes réunis, mais aussi et au-delà de cela, un problème plus fondamental qui doit tenir au cœur de tout homme libre, c’est à dire le droit dans la société moderne, dans la société civilisée, pour chaque homme, pour chaque femme d’être soi-même.

Il y a plusieurs manières de concevoir des assises comme les vôtres. Vous pouvez, mais je crois que vous ne le ferez pas, transformer ceci en une espèce de forum au sein duquel on évoquerait les mérites et les démérites de certains régimes politiques, où l’on exprimerait des ressentiments vis-à-vis de certains états. On peut aussi envisager une réunion aussi exceptionnelle d’une manière plus ouverte, avec le souci d’affirmer le droit de toutes les minorités, le droit de tous les hommes, le droit de toutes les femmes, de pouvoir se développer librement et finalement de pouvoir réaliser l’idéal de vie qu’ils se sont donné. Et dans le problème qui vous occupe, disons que ce qu’il faut pour vous, c’est affirmer une fois de plus, mais peut-être cette fois-ci avec plus de chance d’être entendus, qu’héritiers de la longue tradition du judaïsme, vous entendiez que vous-mêmes, vos frères et vos sœurs, puissiez continuer à entretenir cette tradition qui a jouée et qui jouera encore, j’en suis assuré, dans l’histoire du monde et dans l’histoire de l’humanité, un rôle aussi éminent.

Dans le long procès que les hommes libres font depuis maintenant plusieurs siècles devant l’opinion à toutes les formes d’intolérance et d’oppression, vous êtes des témoins privilégiés au sens que Pascal donnait à ce mot lorsqu’il disait : « Moi je ne crois que les témoins qui sont prêts à se faire égorger ». Vous avez hélas le triste privilège, pour votre peuple et pour vos communautés, de pouvoir affirmer à l’appui de votre foi et de vos traditions, une longue rangée de crimes qui ont été commis contre vous. Je souhaite que ceci soit un des premiers jalons de cette lente conquête que les hommes de bonne volonté tentent de réaliser depuis maintenant plusieurs dizaines d’années, maintenant qu’ils sont conscients que les progrès techniques ou que les institutions ne sont rien pour le progrès humain dès lors que ne se produit pas dans l’homme une transformation fondamentale. Et j’espère, je le répète, que cette assemblée sera un des premiers jalons qui nous permettra tous, juifs et non-juifs, de faire en sorte qu’un jour, un certain nombre de choses ne pourront plus se faire dans le monde, tout simplement parce qu’elles susciteraient de la part de tous un tel sentiment de révolte que de tels actes deviendraient impensables.

La route sera longue et sera certainement encore parsemées d’arrêts douloureux comme celui qui justifie la réunion de ce soir et les réunions des deux jours qui vont suivre. Mais je suis convaincu que, lentement, progressivement, irrésistiblement, nous tous, nous parviendrons à affirmer ce que j’évoquais déjà tout à l’heure, c’est à dire le droit imprescriptible de chacun d’être lui-même, de rester lui-même et de s’affirmer en tant que tel.

1 Le professeur Albert Sabin a développé le vaccin oral pour la polio et est devenu Président de l’Institut Weizmann.