DAVID SUSSKIND

David Susskind (1925 – 2011) est une personnalité belge qui fonda en 1959 le Centre Culturel et Sportif Juif (CCSJ), devenu quelques années plus tard le Centre Communautaire Laïc Juif (CCLJ). Il devint un leader incontesté de la communauté juive lorsqu’en 1967, il organisa une manifestation de solidarité avec Israël où de nombreux hommes et femmes politiques belges se joignirent. Lorsqu’il accepta d’organiser la Conférence Mondiale pour la Libération des Juifs d’URSS, il fonda avec d’autres le Comité de Coordination des Organisations Juives de Belgique (CCOJB), coupole des organisations juives de Belgique. Plus tard, il organisa avec Simone Susskind, son épouse, des rencontres avec des Palestiniens et des Israéliens, Give Peace a Chance.

Les plus curieux d’entre vous auront plaisir à découvrir les images de David Susskind extraites du film David Susskind, Sois un Mensch, mon fils ! de Willy Perelsztejn dans l’onglet Médias du présent site.

Transcription du discours prononcé le 23 février 1971 :

[Représentants] des cinq continents, délégués, mes frères, mes sœurs.

En tant que représentants de la communauté juive de Belgique, je vais exprimer aux organisateurs, nos vifs remerciements pour avoir choisi Bruxelles comme siège de la Conférence. À tous les délégués, je dis au nom des 40 000 juifs habitant la Belgique, soyez les bienvenus. Bruchim Habaïm, Bienvenue à tous. Je tiens à remercier les autorités de notre pays qui malgré toutes les pressions sont restées fidèles aux traditions démocratiques de la Belgique et permettent le déroulement normal de ces assises. C’est avec émotion que nous avons écouté cet après-midi ces Juifs qu’on appelle les témoins. Ces hommes et ces femmes venant de l’URSS sont les seuls véritables porte-paroles du judaïsme soviétique.

Ce judaïsme qui combat et continue de combattre pour son droit, pour celui de s’assumer culturellement et politiquement en Union Soviétique ou ailleurs s’il le désire. Cette lutte est d’autant plus admirable qu’elle surgit des ténèbres culturelles où a été plongée la minorité juive, minorité presque aussi importante en nombre que l’une ou l’autre des deux communautés nationales de la Belgique. Cette lutte du judaïsme russe est d’autant plus sublime qu’elle s’élève contre un destin d’extension que la maçonnerie soviétique lui a réservé dans sa théorique programmation. Cet affrontement, les enfants les plus courageux du judaïsme soviétique l’ont engagé au mépris de leur sécurité et celle de leurs familles et amis.

Judaïsme se traduit en langage soviétique soit par religion, soit par sionisme. L’un et l’autre sont l’objet de persécutions abominables. Même les Juifs morts comme ceux de Babi Yar1 sont considérés comme dangereux par la société soviétique et le rappel de leur sacrifice demeure un crime. Elie Wiesel ici présent a appelé les Juifs de l’URSS « les Juifs du silence ». Aujourd’hui, ils sont devenus dans les yeux de tout le monde les Juifs du courage.

Quel est l’écrivain, quel est l’historien, dont la plume sera assez puissante pour exprimer l’admirable élan du judaïsme soviétique ? Quel est celui qui pourra rapporter l’image qui traduira le souffle de dizaines de milliers de jeunes criant le jour de Simhat Torah2, leur volonté d’affirmer leur appartenance au peuple juif ? C’est à travers toute la Russie, de Novossibirsk à Riga, de Kichinev à Leningrad, que des milliers de garçons et de filles affrontent la police au cri de Am Israël Hay, le peuple juif vivra !

L’histoire du peuple juif est longue et douloureuse et cette histoire nous enseigne que lorsque la solidarité et l’unité nous ont cimenté face au destin, nous avons toujours eu raison de nos adversaires. Devant cette Conférence que l’on peut déjà qualifier de Premier Congrès de l’Unité du Peuple Juif, nous avons la ferme certitude que la grande communauté des Juifs de l’Union Soviétique, avec l’aide de notre soutien actif, sortira victorieuse de l’épreuve à laquelle elle est soumise.

Ces Juifs du courage, frères glorieux, entreront dans l’histoire de notre peuple comme Judas Maccabée, comme ceux qui ont écrit Kol Nidrè3 dans les caves d’Espagne pendant l’inquisition4. Pour ces Juifs qui refusent de renoncer à être eux-mêmes, notre voix s’élèvera avec une force déterminée et infinie. Nous nous engageons ici à ne laisser à leur persécuteurs ni paix, ni répit, jusqu’à ce que s’ouvrent pour nos frères et nos sœurs les portes du droit à la liberté et à la dignité.

Let my people go !

1 Le massacre de Babi Yar est le plus grand massacre de la Shoah ukrainienne par balles mené par les Einsatzgruppen en URSS : 33 771 Juifs furent assassinés par les nazis et leurs collaborateurs locaux, principalement le 201ème bataillon Schutzmannschaft, les 29 et 30 septembre 1941 aux abords du ravin de Babi Yar à Kiev. D’autres massacres eurent lieu au ravin de Babi Yar dans les mois suivants, faisant entre 100 000 et 150 000 morts (Juifs, prisonniers de guerre soviétiques, communistes, Tziganes, Ukrainiens et otages civils) jusqu’à la mise en place en 1942 du camp de concentration de Syrets.

2 Sim’hat Torah est une fête juive, d’origine rabbinique qui marque la fin du cycle annuel de lecture de la Torah. Elle est célébrée à la synagogue par des chants et des danses avec les rouleaux de la Torah.

3 Kol Nidre en judéo-araméen signifie tous les vœux, est une prière d’annulation publique des vœux qui est chantée lors de Yom Kippour, le Jour du Grand Pardon.

4 L’inquisition est une juridiction spécialisée créée au XIIIe siècle par l’Église catholique dont le but était de combattre l’hérésie. À la fin du Moyen Âge, l’Inquisition s’est étendue en Espagne et au Portugal sous l’influence des franciscains et de dominicains, pour contrer la réforme protestante et pour traquer les Juifs marranes et les musulmans morisques convertis extérieurement au catholicisme mais encore attachés à leur foi première. À la fin du XVe siècle, en particulier, l’Inquisition espagnole condamna environ 2 000 hérétiques au bûcher, organisant des autodafés de grande ampleur qui ont instauré une terreur durable ; ensuite, la proportion des peines les plus lourdes diminua rapidement au cours du XVIe siècle après l’expulsion des Juifs et des musulmans.